Graphisme

Faîtes-vous attention au caractère de la police ?

Timothée

1 mai 2020 • 9 min de lecture

Depuis plus de deux mille ans, l’homme utilise des polices de caractères. Que l’on soit médecin, boucher ou encore designer, nous écrivons tous. N’importe où, n’importe quand. Les caractères typographiques sont partout. Magazines, sites internet, livres, rapports, enseignes, logotypes, packagings… Bien plus qu’une simple suite de caractères, de signes en tout genre, qu’elle soit italique, grasse ou encore light, une police d’écriture va bien au delà de la simple lecture d’un document. Mais comprenez-vous ce qu’elle vous raconte ?

The distinguishing Characteristics of a Typeface
Crédit : arnoKath

Alors qu’une typographie est la composition d’une page entière, les polices d’écritures sont un « ensemble complet des signes typologiques (lettres minuscules, chiffres et lettres capitales) de même style et de même graisse »[1]. Depuis plus de 2000 ans l’homme a commencé à laisser sa trace sur une paroi. En effet l’alphabet grecque formel est apparu en 300 avant J.C mais depuis l’âge de 6 ans, nous sommes tous créateurs d’au moins une police de caractères. Nos écritures reflètent une personnalité qui nous est bien singulière. Énormément de sens peuvent être transmis à travers une écriture, c’est le but même de la graphologie qui étudie la forme d’une écriture pour en déterminer la personnalité du créateur.

Des centaines de polices de caractères ont vu le jour et comme dans d’autres domaines, il a fallu une classification pour comprendre leurs sens, leurs attributs et même leurs formes. C’est en 1921[2] que l’on voit apparaitre la première classification intitulée Thibaudeau du nom de son créateur. Cette dernière est finalement améliorée trente ans plus tard par Alexandre Vox qui la renommera classification « Vox-Atypi ». Au lieu de regrouper les polices seulement sur le type d’empattement, ce classement vise à les regrouper selon plusieurs critères tels que l’époque de création, les pleins et déliés, c’est à dire les caractéristiques techniques mêmes de la fonte.

Caractères typographiques en plomb
Crédit : Unsplash.com

Autrefois fondu dans un bloc de plomb, le numérique a complètement révolutionné la création de caractères typographiques ainsi que son utilisation. Le grand public peut ainsi désormais choisir une police d’écriture dans des documents, souvent commander par l’esthétisme de celle-ci. Mais qu’en est-t-il pour les professionnels de la création ? Designers, typographes, comment choisissent-ils une police d’écriture ? Les caractères sont partout. Aujourd’hui,  « 95% de l’information sur le web est écrite »[3]. Alors comment se différencier ?

Une police de caractère est avant tout vecteur de communication. Elle communique un sentiment et au fond de soi, on en est conscient. Pour reprendre l’exemple de David Rault[4], il choisit un mot où il change la police d’écriture pour ce même mot. On peut donc observer que pour un mot le ressentit que l’on va avoir n’est pas le même en fonction de la police de caractère utilisée. Pour mieux comprendre, une police d’écriture est exactement comme une intonation de voix, un contexte se crée à chaque fois.

Chaque caractère d’imprimerie possède son propre passé, véhicule un bagage culturel, historique et social, et crée par sa seule présence sur une page, au-delà du sens des mots écrits une véritable ambiance.

D. Rault

C’est en ce basant sur ce bagage culturel qu’est réalisé le choix d’utiliser une police plutôt qu’une autre. Cependant ce n’est pas tout, chaque caractère a un usage plus ou moins spécifique. Grâce à notre culture, nous semblons comprendre ce que veulent nous dire ces polices parce que leurs utilisations sont récurrentes pour des thématiques précises. Prenez l’exemple de la police Times[5] réalisée par Stanley Morison et destinée au journal britannique du même nom. Ses empattements l’ont rendue extrêmement lisible d’où son utilisation dans le journal du même nom et elle est devenue célèbre car Microsoft en a fait la police par défaut du logiciel Word jusqu’en 2007. La police Times fait partie des caractères de texte qui ont été créé pour la composition de longs paragraphes afin de faciliter la lisibilité et le confort de lecture. Ce type de police possède souvent des empattements mais il faut savoir que bon nombre de linéales (police de caractère sans empattement) restent extrêmement lisibles et confortables. Cependant la plupart des gens préfèrent les polices serif (avec empattements).

Règles en bois
Crédit : Jeff Sheldon

Bien entendu, un designer ne respecte pas toujours ces règles de conduite mais certains codes graphiques existent pour que le lecteur ne soit pas gêné par la lisibilité d’une police de caractère. Certaines créations de caractères typographiques demandent plusieurs années pour être conçues et même si la perfection est un idéal, ces dernières s’en rapprochent pour devenir à part entière des logotypes de grandes marques connues de tous. La conception de la police « Futura »[6] demanda 3 ans (1924-1927) à son créateur Paul Renner pour en faire une icône dans son domaine, puisqu’elle sera « l’écriture de notre temps » explique-t-il. Ses formes géométriques font d’elle une police moderne, élégante et très utilisée (Volkswagen, Canal +, Louis Vuitton…) et transportée jusque sur la Lune. Ces polices appelées « police de titrage » annoncent d’emblée le caractère du message que veut transmettre le designer qui l’utilise. Conçues dans un but bien spécifique dans certains cas, elles peuvent se permettre une certaine fantaisie ou originalité et peuvent être bien différentes les unes autres. En effet, certaines seront à empattements, d’autre larges et impactantes ou encore fines mais tout de même bien visibles. Le but est d’attirer l’oeil du lecteur.

L'enseigne de la Cantine du Voyage à Nantes
Crédit : Timothée

Nos yeux sont habitués à lire continuellement des slogans publicitaires ou autres documents en tout genre aux formats différents. C’est l’utilisation des polices de caractères parfois semblables, parfois diamétralement opposées qui permettent à ces derniers de se différencier. C’est ce qui fait toute la beauté de la création de caractères typographiques. Malgré des vérités certaines sur le sens d’une police d’écriture, nous venons les comprendre grâce au contexte d’utilisation et à notre culture personnelle. Les polices fonctionnent de manière subjective pour chacun d’entre nous et questionnent notre ressenti comme un art à part entière. Il est essentiel de se laisser guider par nos perceptions de ces caractères tout en comprenant leurs sens et leurs messages.

Sources

  1. Blog Du Webdesign, Vincent GINET , « Les codes de la Typographie #1 – Structure et vocabulaire de la lettre », publié le 7 avril 2010, http://bit.ly/1CFW3lP, consulté le 28 avril 2015
  2. Blog Du Webdesign, Vincent GINET , « Les codes de la Typographie #2  Histoire et Familles », publié le 14 avril 2010, http://bit.ly/1DTuj0S, consulté le 28 avril 2015
  3. Blog Du Webdesign, Oliver Reichenstein , « Le web, 95% de typographie », publié le 11 décembre 2013, http://bit.ly/1ItUmsW, consulté le 29 avril 2015
  4. « La typographie comme outil de design » de David RAULT, [Conférence], ParisWeb, 2010, durée 56 minutes 22. Visible sur le compte Dailymotion de ParisWeb (http://bit.ly/1dJP1Gj), consulté le 18 novembre 2013.
  5. The Times and The Sunday Times, « Unquiet Film Series – Times New Roman », [Documentaire], Direction : The Times and The Sunday Times, 2014, durée 3 minutes 24. Visible sur Youtube (http://bit.ly/1oV98Ex), consulté le 14 juin 2014
  6. Evantias Chaudat, «Futura, l’interview », [Motion], Direction :  Evantias Chaudat, 2014, durée 4 minutes 13. Visible sur Vimeo (https://vimeo.com/57919977), consulté le 22 mars 2014